L'art des ponts,
Immergé dans la patouille,
le front à peine hors de l'eau, vissé, sous les piles, dans les turbulences, repris vers l'amont en un moment et,d'un coup, vers l'aval, violemment, sachant que sa vie tient à la manière dont il négocie, à chaque instant, les circonstances de sa nage, celui qui aime passionnément a-t-il vraiment la chance de gérer ses émotions de haut, en composant des romances ?
Depuis cent ans j'attends qu'Apollinaire, poète, se jette, généreusement, du haut de son perchoir, pour vivre intensément ses amours tumultueuses. Pendant que, les yeux levés, il déclame sur la lyre, sublime, elles coulent : au secours ! Elles coulent dans le couloir tempétueux du temps, par la percolation intermittente de la souffrance et de l'extase, des trahisons, des retours, des serments, des mensonges, de la jalousie et des soupçons.
Depuis cent ans j'attends qu'Apollinaire, poète, se jette, généreusement, du haut de son perchoir, pour vivre intensément ses amours tumultueuses. Pendant que, les yeux levés, il déclame sur la lyre, sublime, elles coulent : au secours ! Elles coulent dans le couloir tempétueux du temps, par la percolation intermittente de la souffrance et de l'extase, des trahisons, des retours, des serments, des mensonges, de la jalousie et des soupçons.
Michel Serres
L'art des ponts